17

 

Sparta joignit Viktor Proboda par auricom et l’informa qu’il pouvait cesser de jouer la comédie. Les passagers de l’Hélios étaient autorisés à débarquer.

Contrairement aux spatioports planétaires, qui ne diffèrent guère des simples aéroports, les spatioports spatiaux ont une ambiance particulière ; un étrange mélange de port maritime, de gare ferroviaire et de centre routier. Un grand nombre de petits appareils, remorqueurs, ravitailleurs, taxis, cutters et satellites autopropulsés, glissent et valsent autour des stations importantes. On ne compte que très peu de vedettes de plaisance, dans l’espace (le yachting solaire n’étant un loisir pratiqué que par quelques milliardaires), et, contrairement à ce qui se passe dans les ports maritimes fréquentés, il n’y pas de remous, pas de sauts sur les vagues, pas de proues qui coupent la route des autres vaisseaux avec insolence. Ici, tous les déplacements sont tributaires de l’orbite… d’une précision extrême et s’accompagnant de calculs incessants des vitesses relatives et des rapports masse/carburant… et dans le vide même les coquilles de noix doivent suivre les voies leur étant assignées comme des wagons de marchandises dans une gare de triage. Si ce n’est qu’en l’occurrence des nuées d’ordinateurs ne cessent de modifier leur trajectoire.

Et, à l’exception du trafic local, ces spatioports ne sont guère animés. On ne dénombre chaque mois que quelques navettes assurant la liaison avec la planète, et chaque année que quelques départs et arrivées de vaisseaux de ligne et de cargos. Une conjonction planétaire favorable tend à provoquer un regain d’activité et les chambres de commerce envoient alors des volontaires costumés accueillir les paquebots de l’espace comme la population d’Honolulu fêtait autrefois l’arrivée du Lurline ou du Matsonia. Faute de disposer de paréos et de colliers de fleurs, il a fallu créer de nouvelles « traditions » à même de traduire l’identité ethnique, politique et économique de chaque station, ses mythes d’emprunt. C’est ainsi qu’un passager débarquant à Station Mars y sera accueilli par un comité composé d’hommes et de femmes aux genoux dénudés et au torse bardé d’une cuirasse romaine, brandissant des drapeaux rouges sur lesquels sont représentés une faucille et un marteau.

À Port Hespérus, les personnes qui quittèrent le bord de l’Hélios après une longue attente s’engagèrent dans un couloir sinueux aux parois d’acier inoxydable couvertes de panneaux publicitaires aux couleurs vives sur lesquels étaient vantés les mérites de la production locale de minerai ; en anglais, en arabe et en russe. Des banderoles de papier agitées par la brise sortant des évents d’aération apportaient à la scène un certain air de fête.

Puis ils atteignirent une section vitrée, et un déploiement d’activité silencieux se déroulant au-dessus de leurs têtes attira leur attention. Ils levèrent les yeux et furent surpris de voir une Aphrodite en chiton qui chevauchait un coquillage de plastique les saluer de la main et leur adresser des sourires. Près d’elle flottait une déesse du soleil shinto en kimono de soie. L’apesanteur leur permettait d’évoluer librement sous des angles étranges, tant respectivement que par rapport aux observateurs. Ces divinités locales étaient entourées d’une douzaine d’hommes, de femmes et d’enfants également souriants qui agitaient des paniers pleins de fruits et de fleurs, purs produits des jardins et des fermes hydroponiques de la station.

Avant d’être autorisés à gagner le plan supérieur qu’occupaient ces créatures célestes, les passagers devaient cependant franchir un ultime obstacle. À l’extrémité du couloir, Viktor Proboda, flanqué de gardes armés d’étourdisseurs, les fit entrer dans une pièce cubique entièrement tapissée de moquette bleu nuit. Certains y furent admis individuellement, d’autres par groupes. Sur la vidéo-plaque encastrée dans l’une des parois apparaissait le visage à l’expression sévère de l’inspecteur Ellen Troy, plus grand que nature. La jeune femme semblait plongée dans l’étude d’un terminal placé devant elle.

En fait, Sparta se trouvait dans un réduit proche du tube de débarquement et ne prêtait pas la moindre attention à cet écran d’ailleurs factice. Elle avait dit à Proboda de faire entrer les passagers selon un ordre précis, et la plupart avaient déjà recouvré leur liberté. On comptait parmi ces personnes l’éminent professeur d’archéologie japonais, les Arabes et leurs familles, ainsi que divers techniciens et voyageurs de commerce.

Pour l’instant, elle tentait de se débarrasser des adolescentes hollandaises.

— Il est inutile que je vous retienne plus longtemps, leur déclara-t-elle en arborant un sourire amical. J’espère que la suite de votre voyage vous réservera moins de désagréments.

— J’ai trouvé ça passionnant, déclara l’une. L’autre fit des effets de cils à l’intention de Proboda et précisa. :

— En outre, votre collègue a été absolument adorable.

La troisième, cependant, resta aussi réservée que Proboda lui-même.

— Par ici, s’il vous plaît, leur dit ce dernier. Toutes. Sur votre droite. Allons, pressons.

— Au revoir, Vikee…

« Vikee » sentit peser sur lui le regard amusé de Sparta, mais il parvint à chasser les filles et à faire entrer Percy Farnsworth sans se tourner vers l’image de la jeune femme.

— M. Percy Farnsworth, Londres, mandaté par la Lloyd’s.

L’homme pénétra dans le réduit et Sparta nota que des tics nerveux agitaient sa moustache.

— Monsieur Farnsworth, inspecteur Troy. Après avoir procédé aux présentations, Proboda désigna le vidéocom.

— Je suis extrêmement heureux de pouvoir apporter ma modeste contribution à votre enquête, inspecteur. Disons-le tout net, ce genre d’affaires est ma spécialité.

Elle l’étudia pendant deux secondes : un ex-homme de confiance qui avait désormais changé de camp. À en croire son dossier, tout au moins.

— Si j’en juge par les nombreux renseignements que vous avez fournis à nos services, vous nous avez déjà été très utile, monsieur.

Elle feignit de parcourir des yeux un fichier inexistant sur le terminal factice.

— Mmm. La Lloyd’s devait être fermement convaincue de la fiabilité du Roi des Étoiles, pour avoir assuré ce cargo, la majeure partie de son fret et la vie des membres de l’équipage.

— Absolument. Et c’est pourquoi j’aimerais contacter Londres le plus rapidement possible, afin d’adresser un rapport préliminaire…

— Eh bien, l’interrompit-elle, soit dit entre nous, il me semble que vos employeurs l’ont échappé belle.

Farnsworth réfléchit à cette bribe d’information… qu’avait-elle voulu dire exactement ?… avant d’estimer que l’inspecteur devait souhaiter jouer la carte de la décontraction avec lui.

— Je m’en félicite.

Puis il baissa la voix, et ce fut en murmurant qu’il demanda :

— Mais pourriez-vous ?… La disparition de Grant…

— Sans doute aimeriez-vous savoir s’il s’agit d’un suicide ou d’un accident, sur le plan légal ? La question est effectivement épineuse, et seule la justice pourra trancher, monsieur Farnsworth. Je n’ai pour l’instant rien à ajouter aux déclarations officielles.

Le ton de sa voix ne traduisait cependant pas la moindre décontraction.

— Je précise que j’accepte volontiers votre offre de collaboration. Veuillez emprunter la porte se trouvant sur votre gauche. Vous n’aurez guère à attendre.

— Là ?

Il désigna un couloir d’acier peu engageant révélé par l’ouverture silencieuse d’un des panneaux de la paroi moquettée puis regarda à l’intérieur en hésitant, comme s’il s’attendait à en voir surgir une bête fauve.

Sparta estima qu’il avait besoin d’encouragements.

— Je ne vous retiendrai pas plus de dix minutes, monsieur. Entrez.

— Bon, marmonna Farnsworth avant d’obtempérer.

Dès qu’il eut franchi le seuil, le panneau se remit en place et Proboda se hâta d’ouvrir la porte donnant sur le couloir de débarquement.

— M. Nikos Pavlakis, Athènes, représentant les Pavlakis Lines, dit-il. Et voici l’inspecteur Troy.

L’armateur le salua en inclinant la tête puis se tourna vers le vidéocom.

— Bonjour, inspecteur.

Sparta continua pendant un instant de feindre de lire quelque chose sur le terminal factice, laissant l’homme étirer avec nervosité les poignets de sa veste étriquée.

— Je constate qu’il s’agit de votre premier séjour à Port Hespérus, monsieur Pavlakis, dit-elle finalement en relevant les yeux. Il est regrettable que ce soit en d’aussi tristes circonstances.

— Comment se porte McNeil, inspecteur ? Va-t-il bien ? Puis-je le voir ?

— Les médecins l’ont déjà autorisé à quitter la clinique. Vous pourrez bientôt vous entretenir avec lui.

Sa préoccupation paraissait sincère, mais Sparta ne modifia pas sa ligne de conduite pour autant.

— Monsieur Pavlakis, je note que l’immatriculation du Roi des Étoiles est récente, alors que ce cargo a été mis en service voilà une trentaine d’années. Pourriez-vous me communiquer son code d’identification précédent ?

L’homme corpulent tressaillit.

— L’appareil a été entièrement rénové, inspecteur. Tout, la structure de base exceptée, est neuf ou reconditionné. Nous avons en outre fait apporter quelques modifications mineures qui…

Viktor Proboda décida d’interrompre l’improvisation de Pavlakis.

— L’inspecteur Troy vous a demandé son immatriculation précédente.

— Je… Je crois que c’était NSS 69376, inspecteur.

— Le Kronos, fit Sparta.

Et ce nom était à lui seul une accusation.

— Cérès, en 67 : deux membres de l’équipage décédés et le troisième, une femme, gravement blessée ; perte de la totalité du fret. Station Mars, en 73 : une collision au cours de l’appontage provoque la mort de quatre ouvriers de la station et la destruction totale du fret dans une des cales. Depuis, on déplore plusieurs accidents ayant entraîné la disparition du chargement. Bon nombre de blessures et au moins une mort sont attribuables à une maintenance non conforme aux normes. Vous aviez d’excellentes raisons de changer le nom de cet appareil, monsieur Pavlakis.

— Kronos ne représentait pas un bon choix, pour un vaisseau spatial.

Elle hocha la tête, avec gravité.

— Un titan qui dévore sa propre progéniture. Vous avez dû avoir de sérieuses difficultés à lui trouver des équipages qualifiés.

Les perles du chapelet du Grec glissaient à nouveau entre ses doigts.

— Quand serai-je autorisé à aller constater l’importance des dégâts subis par le Roi des Étoiles et son chargement, inspecteur ?

— Je vais vous répondre du mieux que je le puis, monsieur Pavlakis. Dès que nous aurons terminé cette enquête. Je vous demande de bien vouloir aller m’attendre à côté… par cette porte, sur votre gauche.

Le panneau glissa à nouveau, révélant le couloir d’acier. Avec méfiance et en baissant les yeux au-dessus de sa moustache, Pavlakis y pénétra sans rien dire.

Lorsque la porte secrète fut close, Proboda fit entrer le passager suivant.

— Mlle Nancybeth Mokoroa, Port Hespérus, sans activité professionnelle.

La jeune femme entra en bouillant de rage, foudroya le policier du regard, puis ricana en pivotant vers le vidéocom. Alors que la porte de la coursive se refermait, l’emprisonnant à l’intérieur du réduit, Proboda ajouta :

— Et voici l’inspecteur Troy.

— Mademoiselle Mokoroa, vous avez intenté l’année dernière une action en justice contre M. Vincent Darlington. Vous demandiez l’annulation du contrat de compagnonnage de trois ans qui vous liait à cet homme, en invoquant comme motif l’incompatibilité sexuelle. M. Darlington savait-il que vous étiez déjà devenue de facto la compagne de Mme Sondra Sylvester ?

Nancybeth fixa en silence l’image visible sur la vidéoplaque, le visage figé en un masque de mépris acquis grâce à des années de pratique…

… et que Sparta interpréta comme un paravent servant à dissimuler sa confusion. Elle décida d’attendre.

— Nous sommes amies, fit la jeune femme d’une voix rauque.

— Voilà qui est fort sympathique. M. Darlington savait-il que vos rapports avec Mme Sylvester étaient également d’ordre sexuel ?

— Nous sommes amies, c’est tout !

Elle se tourna vers le policier corpulent qui se tenait près d’elle à l’intérieur de la petite pièce.

— Que diable espérez-vous prouver ? À quoi riment ces questions ?

— Entendu, changeons de sujet. Si vous voulez bien…

— Je réclame un avocat ! hurla Nancybeth qui venait d’estimer l’attaque préférable à la défense. Ici, immédiatement. Je connais mes droits.

— … répondre à une seule autre question, termina posément Sparta.

— Plus un mot ! Plus un mot, sale flic ! C’est une détention arbitraire, une perquisition illégale…

Les deux policiers se regardèrent. Perquisition ?

— Une atteinte à la dignité humaine. Une accusation diffamatoire. Un acte prémédité qui…

Ce fut avec un semblant de sourire que Sparta lui demanda :

— Attendez d’avoir entendu ma question avant de déposer une plainte officielle, d’accord ?

— Afin que nous n’ayons pas à vous arrêter au préalable, ajouta Proboda.

Nancybeth étouffa sa colère, prenant conscience d’être parvenue à des conclusions hâtives. Ils n’avaient pas encore procédé à son arrestation. Peut-être même n’était-il pas dans leurs intentions de l’écrouer.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Pensez-vous que l’une de ces deux personnes… Sylvester ou Darlington… pourrait aller jusqu’à commettre un meurtre par amour pour vous ?

La surprise de Nancybeth fut telle qu’elle éclata de rire.

— À en juger par la façon dont ils parlent l’un de l’autre, tous les deux en seraient capables.

Proboda se pencha vers elle.

— L’inspecteur ne vous a pas… Mais Sparta le fit taire d’un regard.

— C’est bon. Je vous remercie, vous pouvez disposer. Prenez cette porte, sur votre droite.

— Droite ? répéta Proboda. Sparta hocha rapidement la tête. Nancybeth était méfiante.

— Où mène-t-elle ?

— Dehors, répondit Proboda. Vers les paniers de fruits et les déguisements. Vous êtes libre.

La jeune femme parcourut à nouveau la pièce du regard. Elle ouvrait de grands yeux et ses narines dilatées paraissaient frissonner. Puis elle bondit vers l’ouverture, tel un chat sauvage voyant s’ouvrir la porte de sa cage. Proboda se tourna vers le vidéocom, visiblement irrité.

— Pourquoi pas elle ? J’ai l’impression qu’elle nous cache beaucoup de choses.

— Ce qu’elle dissimule est sans rapport avec le Roi des Etoiles, Viktor. Cela concerne probablement certains épisodes de son passé. Qui est le suivant ?

— Mme Sylvester. Écoutez, j’espère que vous la traiterez avec plus de tact que…

— Nous poursuivrons cet interrogatoire à ma manière, rétorqua Sparta.

Et ce fut en grommelant que Proboda alla ouvrir la porte de la coursive.

— Mme Sondra Sylvester, Port Hespérus, directrice principale de l’Ishtar Mining Corporation.

Sa voix était aussi déférente que celle d’un majordome.

La femme se propulsa avec grâce dans la petite pièce moquettée, le corps moulé par des vêtements en soie naturelle.

— Viktor ? Est-il bien nécessaire de tout reprendre depuis le début ?

— Madame Sylvester, j’aimerais vous présenter l’inspecteur Troy, fit-il sur un ton d’excuse.

— Je présume que vous êtes impatiente d’aller vous occuper de vos affaires, madame Sylvester, déclara Sparta. Je serai donc brève.

— Mon travail peut attendre, mais pas le déchargement des robots qui se trouvent toujours à bord de ce cargo.

Sparta baissa les yeux vers le terminal factice, puis les releva vers ceux de Sylvester. Les deux femmes s’étudièrent par systèmes électroniques interposés.

— Vous n’aviez encore jamais confié de fret aux Pavlakis Lines, et cependant vous n’avez pas ménagé vos efforts pour persuader le Bureau du Contrôle spatial et les assureurs de déroger à la clause imposant que l’équipage soit composé de trois membres.

— Je crois en avoir exposé les raisons à l’inspecteur Proboda il y a seulement quelques instants. Six robots mineurs se trouvent à bord du Roi des Étoiles et je dois les rentabiliser le plus rapidement possible.

— En ce cas, vous avez eu beaucoup de chance.

La voix posée de Sparta ne trahissait aucunement sa tension.

— Il s’en est fallu de peu que vous ne les perdiez.

— J’en doute. Cette probabilité est encore plus infime que celle de la collision d’une météorite et d’un vaisseau spatial. Un fait qui ne dépend d’ailleurs pas du nombre de personnes composant son équipage.

— Auriez-vous expédié vos robots… assurés pour approximativement neuf cent millions de dollars, je crois… à bord d’un cargo en pilotage automatique ?

Sylvester sourit. Il s’agissait d’une question adroite aux nombreux sous-entendus économiques et politiques. Qu’elle eût été posée par un simple inspecteur de police la surprenait.

— Vous savez parfaitement qu’il n’existe aucun vaisseau interplanétaire sans équipage, inspecteur – en raison de certaines mesures attribuables au Bureau spatial et à bien d’autres groupes de pression et d’intérêts. Je n’ai pas pour habitude de perdre mon temps en donnant mon point de vue sur des sujets purement hypothétiques.

— Où avez-vous passé les trois dernières semaines de votre séjour sur Terre, madame Sylvester ?

Cette question n’avait par contre rien d’hypothétique, et la femme dut visiblement faire un effort pour dissimuler son étonnement.

— J’ai pris des vacances dans le sud de la France.

— Vous avez loué une villa sur l’île du Levant. Mlle Nancybeth Mokoroa y a séjourné seule, hormis le premier et le dernier jour, ainsi que lors des deux visites que vous lui avez rendues. Où étiez-vous, le reste du temps ?

Sylvester lança un regard à Proboda, qui l’esquiva. L’interrogatoire superficiel de cet homme ne l’avait pas préparée à devoir répondre à de telles questions.

— J’étais… J’ai réglé des affaires personnelles.

— Aux États-Unis ? En Angleterre ?

Sondra Sylvester ne répondit pas. Et si son expression resta neutre, elle ne parvint à ce résultat qu’au prix d’évidentes difficultés.

— Merci, madame Sylvester, fit sèchement Sparta. C’est cette porte, sur votre gauche.

Et Sparta nota que Proboda tardait à ouvrir l’accès au couloir d’acier, sans doute dans le but d’atténuer l’effet de surprise que provoquait son apparition.

— Je dois vous demander de patienter quelques instants. Pas plus de cinq ou six minutes.

Si la femme parvint à conserver sa sérénité apparente en franchissant le seuil du passage, elle ne put dissimuler totalement son appréhension.

Proboda fit rapidement entrer le suspect suivant.

— Monsieur Blake Redfield, Londres, mandataire de M. Vincent Darlington, directeur du Muséum Hespérien.

À l’instant où Proboda ouvrait la porte du couloir, Sparta tendit les doigts vers l’objectif du moniteur afin de modifier son réglage. Redfield entra dans la petite pièce d’un pas décidé, visiblement détendu. Si la coupe de son costume anglais coûteux était classique, la forme des revers et la longueur de ses cheveux auburn traduisaient sa jeunesse.

— Inspecteur Troy, du Bureau spatial, dit Proboda en désignant le vidéocom d’un mouvement de la tête.

Il ne remarqua pas que l’image manquait désormais de netteté.

Blake se tourna vers l’écran en esquissant le sourire propre aux personnes bien éduquées. S’il reconnut Sparta, il ne se trahit pas. Mais la jeune femme le savait aussi fort qu’elle au jeu de la dissimulation. S’il avait des choses à cacher, il parviendrait à ses fins mieux que les autres.

Elle l’étudia attentivement, bien que l’acuité de sa vision macroscopique fût réduite par le manque de résolution de la vidéoplaque et qu’elle ne pût humer sa présence chimique. Deux années s’étaient écoulées depuis leur dernière rencontre, et s’il n’avait guère vieilli, il paraissait avoir acquis de l’assurance. Il émanait de lui quelque chose d’indéfinissable qu’elle remarquait pour la première fois. Alors qu’il flottait en apesanteur dans la pièce insonorisée, elle n’entendait que sa respiration paisible. Il attendait qu’elle prît la parole la première.

Lorsque Sparta parla finalement, le graphique de sa voix privée de toute intonation eût été par lui-même suspect.

— Je crois que vous avez agi en tant que mandataire de M. Darlington pour l’achat des Sept Piliers de la sagesse, monsieur Redfield ?

— C’est parfaitement exact.

Par contraste, la voix du jeune homme était chaleureuse et animée, et sa représentation visuelle eût signifié : « Si tu ne me révèles rien, tu n’apprendras rien de moi. »

— Quelle est la raison de votre voyage ?

— Veiller à ce que M. Darlington reçoive en main propre le livre précieux que vous venez de mentionner.

Sparta fit une pause. Cette réponse semblait absurde, délibérément provocatrice, et elle ne pouvait s’abstenir de relever le défi.

— Si vous projetiez de lui remettre personnellement cet objet, pourquoi l’avez-vous confié à un transporteur ? N’eût-il pas été plus logique de l’emporter avec vous ?

— Qui vous dit que je ne l’ai pas fait ? répondit Redfield.

Il souriait, sachant pertinemment qu’elle s’était assurée de sa présence à bord du cargo.

— Je l’ai vu dans la cale du Roi des Étoiles, monsieur Redfield.

— Voilà qui me rassure. Me serait-il possible de le voir également ?

Le cœur de Sparta battit plus rapidement, et avec plus de force. À un niveau situé en deçà du seuil de sa conscience, elle se savait confrontée à une situation imprévue. Elle jugea préférable de ne pas fournir à son interlocuteur la moindre information supplémentaire.

— Nous nous reverrons bientôt, monsieur Redfield. Par cette porte sur votre droite, s’il vous plaît. Désolée de vous avoir fait attendre.

Alors qu’il sortait, elle nota qu’il arborait un large sourire. Et elle sut qu’il lui était adressé.

— C’est bon, Viktor, fit-elle d’une voix où perçait une certaine impatience. Il s’agissait de la dernière brebis.

— La dernière quoi ?

— Brebis. À présent qu’elles sont toutes dans l’enclos, il ne nous reste plus qu’à trouver la bonne.

 

*

 

La pièce minuscule dans laquelle Farnsworth, Pavlakis et Sylvester s’étaient retrouvés après avoir franchi une chicane du passage était un autre cube d’acier nu, et aussi dépouillé que la cellule d’un sous-marin. Nulle issue n’était visible, le chemin du retour ayant été clos par des panneaux coulissants. Une vidéoplaque éteinte occupait la totalité du plafond.

La conversation tendue des occupants de cette geôle était sur le point de dégénérer en une violente dispute quand l’écran s’alluma brusquement. Une image en gros plan du buste de l’inspecteur Ellen Troy, à présent trois fois plus grand que nature, y apparut.

— Je vous ai promis que l’attente serait brève, et j’ai tenu parole, annonça ce visage d’icône.

Qui fut remplacé par l’image d’une plaque de métal convexe.

— Le panneau de coque portant la référence L-43 du pont des systèmes de survie du Roi des Étoiles a été perforé.

Le coin supérieur droit emplit tout l’écran, révélant un trou noir dans la peinture blanche.

Puis ils virent l’autre côté, concave et noirci.

— Nous trouvons à l’intérieur toutes les caractéristiques de l’impact d’un projectile très rapide, tel qu’une météorite…

Un nouvel effet de zoom fit apparaître un cratère qui semblait aussi vaste que celui de l’Etna.

— … et dont la perforation a été colmatée par une projection de mousse.

Ils virent un monticule de substance jaunâtre sur le point de la plaque où s’était trouvée l’excroissance conique – un cliché que Sparta avait pris avant de décoller la couche de plastique protectrice.

Elle continua de commenter les vues sur un ton didactique, presque professoral.

— Les dommages importants subis par le Roi des Étoiles sont attribuables à une explosion qui a détruit les deux réservoirs principaux d’oxygène et une cellule d’alimentation, dit-elle alors qu’apparaissait l’intérieur du pont dévasté.

Sparta fit une pause, pour leur laisser le temps d’étudier l’étendue des dégâts.

— Il convient cependant de noter que ni la perforation du panneau de la coque ni l’explosion ne sont attribuables à une météorite.

Leurs visages aux expressions solennelles étaient baignés par la clarté blafarde de l’écran. Si cette révélation les surprenait, seule la prolongation du silence pouvait l’indiquer.

Nouveau gros plan ; une micrographie, cette fois.

— Les importants cristaux de forme irrégulière présents sur le pourtour de la cavité indiquent la lenteur de la fusion et du refroidissement du métal. Une brusque libération d’énergie donnerait de petits cristaux réguliers. On peut en déduire que la plaque a été perforée à l’aide d’une torche plasmatique. Une autre micrographie.

— Cette vue permet de constater que l’opercule de plastique durci se divise en deux strates distinctes. La strate inférieure, très mince, ne porte pas la moindre trace des turbulences d’un courant d’air supersonique s’échappant par le trou – vous pouvez remarquer une exfoliation absolument lisse, ici.

Un diagramme d’ordinateur.

— Comme le démontre cette spectrographie, la catalyse de la première couche de plastique s’est produite voilà plus de deux mois. En d’autres termes, ce trou a été fait et scellé par une fine pellicule de plastique avant l’appareillage du Roi des Etoiles pour Vénus. Notez en outre que la couche en question a été soufflée vers l’extérieur. L’onde de choc d’une explosion s’étant produite à l’intérieur du vaisseau a dégagé l’ouverture, permettant à l’air de s’échapper dans l’espace avant que les dispositifs de sécurité ne colmatent la fuite.

D’autres diagrammes et graphiques.

— Cette déflagration a été provoquée par une charge de fulminate d’or et un détonateur à acétylène placés dans le boîtier de la cellule d’alimentation – ces spectrographies révèlent la nature de l’explosif utilisé. Il est probable que le contact électrique a été déclenché par le moniteur de la cellule, à l’aide d’un signal prédéterminé programmé dans le système informatique du vaisseau.

Le visage à l’expression sévère de Sparta réapparut, fortement contrasté dans la cellule d’acier nue.

— Qui a saboté le Roi des Étoiles ? Dans quel but ? Quiconque croit connaître la réponse à ces questions est invité à exprimer ses hypothèses, ou encore à contacter l’antenne locale du Bureau du Contrôle spatial. Je précise enfin que le cargo restera sous scellés jusqu’à la fin de l’enquête.

Un rai de lumière transperça la pièce et sa blancheur effaça partiellement l’écran. Au fond de ce réduit une double porte venait de s’ouvrir sur une des coursives animées du cœur de la station.

Sparta avait entre-temps abaissé un interrupteur pour substituer un enregistrement vidéo de son visage à l’image retransmise en direct. L’endroit où elle se trouvait, guère plus grand qu’un placard et encombré de consoles, occupait un interstice séparant deux passages. La jeune femme était bien plus proche des suspects que ces derniers ne pouvaient le supposer. À présent qu’ils ne la voyaient plus, elle pivota vers Proboda qui se dressait près d’elle.

— Viktor, vous m’avez jugée impertinente avec Mme Sylvester. Alors, suivez-la. Si elle se rend à son bureau ou si elle approche du cargo, contactez-moi immédiatement. Où qu’elle aille, appelez-moi à intervalles de cinq minutes. Elle sort déjà – hâtez-vous !

Sparta releva l’interrupteur et réapparut en direct sur la vidéoplaque. Farnsworth et Pavlakis étaient toujours présents, et si l’armateur posait en hésitant un pied à l’extérieur de la petite pièce, l’assureur se rapprochait de l’écran d’un pas décidé.

— Je trouve tout cela plutôt bizarre, déclara-t-il au plafond du réduit. Je parle du fait que vous nous ayez révélé vos preuves sans lancer la moindre accusation.

— Nous nous trouvons à bord d’une station spatiale, monsieur Farnsworth. Notre isolement est encore plus grand que dans une petite bourgade du Kansas.

— Et si le coupable ne se trouvait pas parmi nous ?

— En ce cas, il n’aurait rien pu apprendre.

Cet homme était audacieux, pour oser lui dire qu’elle avait commis une erreur tout en la sachant informée de son passé.

— Espérez-vous que vos révélations resteront un secret plus de quelques minutes ? Même la Terre sera bientôt au courant.

— Auriez-vous des renseignements à me fournir, monsieur Farnsworth ?

L’assureur désigna du pouce Pavlakis qui s’attardait en arrière-plan et dont la silhouette se découpait sur la coursive extérieure brillamment éclairée.

— Ce type. Sa famille s’est rendue coupable d’un grand nombre d’escroqueries aux assurances. Nous n’avons jamais pu réunir la moindre preuve contre eux, mais si ce Grec n’est pas votre homme, il le connaît.

Sparta trouvait Farnsworth extrêmement insolent, même si elle l’avait déjà jugé innocent.

— Et quelle serait votre réaction, si je vous déclarais que je soupçonne Sylvester ? s’enquit-elle.

Parfait. Voilà qui lui avait fait perdre une partie de son assurance…

Mais il prit cette suggestion au sérieux.

— Par jalousie, voulez-vous dire ?… fit-il, comme s’il n’y avait pas déjà pensé. Darlington lui souffle un livre qu’elle convoite, alors elle fait en sorte qu’il ne… et caetera ?

— Et caetera.

— Une théorie singulière… marmonna l’homme.

— Ce n’est pas une théorie.

Le visage de la femme, trois fois plus grand que le sien, se pencha vers lui.

— Vraiment ?

— Absolument pas.

— Vous m’en avez assez dit, en ce cas. Pardonnez-moi…

Brusquement impatient de contacter ses employeurs, il se propulsa maladroitement vers la porte. Pavlakis avait disparu.

L’auricom tinta dans l’oreille droite de Sparta.

— Parlez.

— Ici, Proboda. Mme Sylvester s’est rendue directement à l’Ishtar Mining Corporation. Je me trouve actuellement devant les Portes d’Isthar.

Le siège de la compagnie minière était situé à près de deux kilomètres, à l’autre extrémité de la station spatiale, là où ses hublots et ses antennes surplombaient les nuages embrasés de Vénus.

— Voilà qui semble l’éliminer également. Venez me rejoindre le plus rapidement possible.

— Quelles sont vos intentions, à présent ? demanda Proboda avec irritation.

Elle l’avait à nouveau envoyé sur une mauvaise piste.

— Attendre. Notre liste de suspects est très courte, Viktor. Je pense que nous allons assister à une confession ou à un acte de désespoir dans très peu de temps. Dix ou quinze min…

Elle perçut autant qu’elle entendit la détonation assourdie. Toutes les lumières s’éteignirent simultanément, et dans les ténèbres le gémissement lugubre des sirènes grimpa rapidement dans les aigus pour se changer en plainte désespérée. Les haut-parleurs encastrés dans les cloisons s’adressèrent à toutes les personnes proches, répétant en anglais, arabe, russe et japonais : Évacuation immédiate de la section centrale numéro un. Perte de pression importante enregistrée dans la section centrale numéro un. Évacuation immédiate de la section centrale numéro un…

La voix de Proboda jaillit de l’auricom de Sparta, assez forte pour l’assourdir.

— Vous n’avez rien ? Que s’est-il passé, là-bas ? Troy ?

Mais il ne reçut aucune réponse.

 

Point de rupture
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